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Avez-vous lu Pavese ?

Conférence d'Yves Prouet,

Vendredi 1er décembre 2023 à 18h30 au centre culturel

 

C'est avec grand plaisir que nous avons accueilli Yves Prouet,

ancien professeur de philosophie au lycée Pothier.

Il a évoqué l'œuvre de l'écrivain Cesare Pavese mort en 1950,

figure majeure des lettres italiennes.

Couverture Pavese Cesare  

Dans son dernier livre, "La lune et les feux", Cesare Pavese (1908-1950) a inscrit en exergue « Ripeness is all » « la maturité est tout ».
   
Entrer dans la vie adulte, réussir le « métier de vivre », trouver une stabilité affective et professionnelle, tous ces objectifs existentiels seront hors d’atteinte pour Pavese. Restera une œuvre poétique et des romans qui feront de lui le grand écrivain italien du 20eme siècle, couronné en 1950 par le Prix Strega. Intellectuel reconnu, écrivain célébré, son désarroi existentiel ne fit pourtant que croître jusqu’au suicide.

 

Chez Pavese, il y a une telle osmose entre sa vie et son œuvre qu’on ne peut les dissocier. La rédaction de son journal intime "Le métier de vivre"et son abondante correspondance permettent de connaître l’homme et de comprendre les thèmes obsédants de ses récits.

 

1- La dualité ville-campagne.

L’attachement au terroir piémontais, lieu de l’enfance où l’exilé retourne, l’échec des relations amoureuses, le groupe des amis, l’engagement politique, voilà le contenu de ses romans où le protagoniste, homme ou femme, est souvent un double de l’auteur.
Pavese est né dans un village des environs de Turin dans les collines des Langhe mais il a passé sa vie à Turin. Homme de la ville, il se voit comme un homme de la campagne mais dans les collines il ne pense qu’à la ville, lieu de l’action, des rencontres, de l’histoire.


Dans la trilogie du "Bel été Pavese" décrit la rencontre de Ginia et du peintre Guido pour lequel pose Amélia jeune femme libre et manipulatrice. Finalement, Ginia ne trouvera que déception et solitude.

Le deuxième récit "Le diable sur les collines" nous présente un groupe de copains étudiants qui vagabondent dans les collines et rencontrent un bourgeois désabusé, Poli qui hésite entre la présence féminine et la drogue.

"Femmes entre elles" raconte le retour à Turin de Clelia, créatrice de mode, femme indépendante et solitaire qui assiste à son hôtel à la tentative de suicide de Rosetta dans la chambre voisine. Elle s’attache à cette jeune fille et découvre son entourage de femmes riches et oisives. Malgré sa compassion envers Rosetta, elle ne parviendra pas à empêcher le suicide de celle-ci.

Michelangelo Antonioni adaptera au cinéma le récit de Pavese en 1955.


 

 

2- Le rapport homme/femme

est la question centrale des récits pavésiens. Incommunicabilité foncière entre les sexes, violence latente de leurs rapports, impossibilité de former un couple durable.

Dans son journal, Pavese exprime sa misogynie et son désespoir d’être rejeté par les femmes qu’il aime, Battistina Tizzardo, « Tina », « la femme à la voix rauque », Fernanda Pivano, son ancienne élève, Bianca Garufi, sa collaboratrice aux éditions Einaudi, Constance Dowling, la séduisante actrice américaine, toutes refuseront la vie commune avec Cesare.

Pavese écrit l’année de sa mort :
« On ne se tue pas par amour d’une femme. On se tue parce qu’un amour, n’importe quel amour, nous révèle dans notre nudité, notre misère, notre faiblesse, notre néant. »

 

3- L’engagement politique

n’est pas le fort de Pavese même s’il adhère au Parti Communiste Italien à la Libération.

Son roman le plus politique "Le camarade" raconte comment Pablo, un jeune turinois quelque peu désinséré, qui passe son temps dans les cafés et les fêtes à jouer de la guitare, rencontre à Rome deux militants communistes et s’engage dans la résistance.
Dans "La Maison dans les collines", Corrado rencontre dans un café un groupe de résistants et parmi eux Cate, un ancien amour qui a un fils, Dino. Serait-ce son fils ? Corrado refusera l’engagement et l’action. Il se réfugiera dans un couvent pendant que les autres combattront. Incapable d’aimer et d’être aimé Corrado est un faible qui ne sait ni s’engager ni promettre.

  

Pavese n’est pas à l’aise au sein du PCI. Il refuse que la création littéraire suive une ligne politique tributaire des circonstances. Nous sommes à l’époque du « réalisme socialiste ».
Pavese se fera de grands amis dans le parti mais l’existence du groupe de compagni n’abolira pas sa détresse personnelle et le sentiment de son irrémédiable solitude.
 
  
   
« Peu après sa mort, nous sommes allés dans les collines ; Il y avait des auberges sur la route, avec des pergolas de raisin rougeoyant, des jeux de boules, des bicyclettes entassées ; il y avait des fermes avec des épis de maïs, l’herbe fauchée était étalée sur des sacs pour sécher : le paysage à la marge de la ville et sur le seuil de l’automne, qui lui était cher. Nous avons regardé monter la nuit de septembre sur les rives herbeuses et sur les champs labourés. Nous étions tous très amis et nous connaissions depuis de nombreuses années ; des gens qui avaient toujours travaillé et pensé ensemble…Il était plus présent que jamais sur le bord de cette colline».

                                                        Natalia Ginsburg   "les petites vertus"

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Couverture Pavese Cesare

 

Cesare Pavese s’est suicidé le 27 août 1950, (il avait 42 ans) laissant dans sa chambre un dernier poème "La mort viendra et elle aura tes yeux" ainsi que "Le métier de vivre", son journal intime publié à titre posthume en 1952.

De 1935 à 1950 Pavese a noté ses réflexions d’une qualité exceptionnelle : notes de lectures, aphorismes particulièrement percutants, en voici quelques extraits trouvés sur internet.

Extrait – 3 décembre 1938

Quand nous lisons, nous ne cherchons pas des idées neuves, mais des pensées déjà pensées par nous, à qui la page imprimée donne le sceau d’une confirmation. Les paroles des autres qui nous frappent sont celles qui résonnent dans une zone déjà nôtre – que nous vivons déjà – et la faisant vibrer, nous permettent de saisir de nouveaux points de départ au-dedans de nous.


Extrait – 15 octobre 1940

On obtient les choses quand on ne les désire plus.
Pour consoler le jeune homme à qui arrive un malheur, on lui dit : « Sois fort, prends cela avec courage ; tu seras cuirassé pour l’avenir. Cela arrive une fois à tout le monde, etc. » Personne ne pense à lui dire ce qui est par contre vrai : ce même malheur t’arrivera deux, quatre, dix fois – il t’arrivera toujours, parce que si tu es ainsi fait, que tu lui as tendu le flanc maintenant, la même chose devra t’arriver dans l’avenir.


Extrait – 4 mai 1942

Dans l’inquiétude et dans l’effort d’écrire, ce qui soutient, c’est la certitude qu’il reste quelque chose de non-dit dans la page.
 
                        
Extrait – 4 mai 1946

Il est beau d’écrire parce que cela réunit les deux joies : parler seul et parler à une foule.
Si tu réussissais à écrire sans une rature, sans un retour, sans une retouche – y prendrais-tu encore plaisir ? Ce qui est beau, c’est de se polir et de se préparer dans le calme à être un cristal.

 

Pour aller plus loin :

Babelio : https://www.babelio.com/auteur/Cesare-Pavese/8686

Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cesare_Pavese

France Culture Podcast : Le métier de vivre

Les Amis de la Bibliothèque remercient Monsieur Yves Prouet pour cette enrichissante conférence.

Merci et à très bientôt !