Colette : L'Amour de la Vie"
Yves Prouet, professeur de philosophie a intitulé sa conférence sur Colette : « L’amour de la vie ».
Il confie à son auditoire venu nombreux ce samedi 27 novembre 2021, qu’il a lu Colette sur le tard et qu’il est préférable de connaître sa biographie pour apprécier l’œuvre.
Colette est une femme avide d’amour et d’amitié, curieuse et qui a vécu plusieurs vies en une. Elle a le sens du bonheur.
Née en province en 1873 - son accent est à couper au couteau - elle sera parisienne après un premier mariage avec Willy.
Elle devient une femme libre, actrice de music-hall, journaliste, patronne d’un salon de beauté, critique théâtrale et écrivain. Elle fréquente des salons mondains qui lui permettent de rencontrer des écrivains importants dont Marcel Proust.
Elle écrit de 1896 à 1903 les quatre « Claudine » qui rencontreront un grand succès et seront publiés sous le nom de Willy. L’appellation populaire « col claudine » date de cette époque. Le couple divorce en 1906.
La Belle Époque se situe de la fin du XIXe siècle jusqu'au début du XXe siècle. C'est une période de grands changements techniques, mais aussi culturels. Colette, qui ressent un amour insatiable pour la vie, a des liaisons amoureuses avec des femmes ; on peut citer Polaire une actrice et chanteuse, Renée Vivien née Pauline Mary Tarn poétesse britannique et surnommée "Sapho 1900", décédée en 1909 à l'âge de 32 ans, Natalie Clifford Barney femme de lettres nord-américaine ou encore Lucie Delarue-Mardrus romancière, journaliste et historienne.
Elle fait de la pantomime avec Missy. Leur relation dure six ans. Missy sera présente dans plusieurs de ses romans dont « La vagabonde ». Colette est libre et émancipée mais ne se reconnait pas dans le féminisme.
Colette donne une grande importance à l’amour. Elle a plusieurs liaisons avec des hommes dont Henri de Jouvenel qu’elle épousera en 1911. En 1912, Sido la mère de Colette décède à l'âge de 77 ans. Colette n’ira pas à l’enterrement. En 1913, elle a quarante ans lorsque nait leur fille Colette de Jouvenel dite « Bel Gazou ».
Elle décrit des relations érotiques avec ses souffrances et ses plaisirs. Elle rencontre le jeune Bertrand de Jouvenel, qui plus tard, en tant que journaliste, accordera une interview à Hitler début 1936. L’expérience corporelle nourrit la connaissance : « Mon corps est plus intelligent que mon cerveau …Quand tout mon corps pense, tout le reste se tait. A ces moments-là, toute ma peau a une âme… » (La retraite sentimentale).
Colette évoque la recherche du plaisir dans ses relations amoureuses et en décrit aussi les échecs. Elle a une astuce pour ne pas tomber dans la jalousie : la méthode trio. C’est une femme gourmande qui est également proche de la nature et des animaux et cette sensualité est présente dans son écriture.
Son style très écrit et musical fait appel à tous les sens pour décrire la nature et les lieux. En voici un exemple lorsqu’elle décrit son 2eme paradis : sa maison de Saint Tropez, la Treille muscate « Il a fallu, pour la trouver, que je me détachasse du petit port méditerranéen, des thoniers, des maisons plates, peintes, rose bonbon fané, bleu lavande, vert tilleul, des rues où flotte l’odeur du melon éventré, du nougat et des oursins ».
1925 - Mariage avec Maurice Goudeket. Pour se rendre à New-York en bateau, et aussi à l’hotel, il faut être mariés.
Les amitiés féminines jouent un grand rôle dans sa vie, particulièrement avec Marguerite Moréno. Son nom de scène est Lucie Marie Marguerite Monceau (1871-1948). Elle sera sa meilleure amie pendant 50 ans.
Hélène Dumarc, dite Hélène Picard (1873-1945) devient sa secrétaire en 1920 puis son amie.
Elle se lie d’amitié avec Renée Hamon (1897-1943) auteure de récits de voyage. Elle la surnomme « Petit Corsaire ».
La relation de Colette à sa mère est importante, mais très ambivalente. Elle l’évoquera dans Sido (1930).
Colette est étrangère à l'écriture et n'a pas le désir d'écrire. Pourtant, elle devient un grand écrivain et choisit des mots rares et évocateurs pour parfaire la beauté des descriptions : par exemple, un ciel acide, le cotinus l'arbre à perruque, une griserie frénétique ... Son écriture, sur papier bleu, est parfois complexe. Elle aime la littérature de Balzac, Proust et Zola.
Quelques extraits :
La Puisaye [Mes Apprentissages]
Mon bouquet de Puisaye, c’est du jonc grainé, de grands butomes à fleurs roses plantés tout droits dans l’eau sur leur reflet inversé ; l’alise et la corme et la nèfle, roussottes que le soleil ne mûrit pas, mais que novembre attendrit ; c’est la châtaigne d’eau à quatre cornes, sa farine à goût de lentille et de tanche ; c'est la bruyère rouge, rose et blanche, qui croît dans une terre aussi légère que la cendre du bouleau. C'est la massette du marais à fourrure de ragondin et, pour lier le tout, la couleuvre qui traverse à la nage les étangs, son petit menton au ras de l'eau.
Saint-Sauveur [Claudine à l'école]
Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 ; probablement je n’y mourrai pas. Mon Manuel de géographie départementale s’exprime ainsi : "Montigny-en-Fresnois, jolie petite ville de 1.950 habitants, construite en amphithéâtre sur la Thaize ; on y admire une tour sarrasine bien conservée..." Moi, ça ne me dit rien du tout, ces descriptions-là ! D’abord, il n’y a pas de Thaize ; je sais bien qu’elle est censée traverser des prés au-dessous du passage à niveau ; mais en aucune saison vous n’y trouveriez de quoi laver les pattes d’un moineau.
Le jardin de Sido [Sido]
O géraniums, ô digitales... Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçut un don vermeil. Car "Sido" aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais...
L'école, un rude paradis [Journal à rebours]
Dois-je nommer mon école une école ? Non, mais une sorte de rude paradis où des anges ébouriffés cassaient du bois, le matin, pour allumer le poêle, et mangeaient, en guise de manne céleste, d'épaisses tartines de haricots rouges, cuits dans la sauce au vin, étalés sur le pain gris que pétrissaient les fermières ...
Sido se lève tôt pour ne rien perdre du monde [La Naissance du jour]
Elle alla vers ses fins innocentes avec une croissante anxiété. Elle se levait tôt, puis plus tôt, puis encore plus tôt. Elle voulait le monde à elle, et désert, sous la forme d’un petit enclos, d’une treille et d’un toit incliné. Elle voulait la jungle vierge, encore que limitée à l’hirondelle, aux chats et aux abeilles, à la grande épeire debout sur sa roue de dentelle argentée par la nuit. Le volet du voisin, claquant sur le mur, ruinait son rêve d’exploratrice incontestée, recommencé chaque jour à l’heure où la rosée froide semble tomber, en sonores gouttes inégales, du bec des merles. Elle quitta son lit à six heures, puis à cinq heures, et, à la fin de sa vie, une petite lampe rouge s’éveilla, l’hiver, bien avant que l’angélus battît l’air noir.
Rêve d'écriture [Sido - Le Capitaine]
Sur un des plus hauts rayons de la bibliothèque, je revois encore une série de tomes cartonnés, à dos de toile noire. Les plats de papier jaspé, bien collés, et la rigidité du cartonnage attestaient l'adresse manuelle de mon père. Mais les titres, manuscrits, en lettres gothiques, ne me tentaient point, d'autant que les étiquettes à mets noirs ne révélaient aucun auteur. Je cite de mémoire : Mes campagnes, Les enseignements de 70 ...
Écouter : Un été avec Colette France Inter (4 mn) : un-ete-avec-colette
Colette aura mené une vie aux multiples facettes. Elle fera du journalisme, du cinéma et tiendra même en 1947 un magasin d’antiquités. Elle décède à Paris le 3 aout 1954.
Quelques romans de Colette
Chéri - La fin de Chéri - La naissance du jourLe pur et l'impur
Le fanal bleu - L'étoile Vesper
Le blé en herbe - La série Claudine - Flore et Pomone (botanique).
Bibliographie
Michèle Sarde "Colette libre et entravée", Point Seuil, 1984
Julia Kristeva "Le génie féminin 3-Colette", Gallimard Folio, 2004
Guy Ducrey "Abécédaire de Colette", Flammarion, 2000
Geneviève Dormann "Amoureuse Colette", Herscher, 1984
Colette Romans, récits, souvenirs Robert Laffont, collection Bouquins, 1989
Dominique Bona "Colette et les siennes", Livre de poche, 2018
Pour aller plus loin :
Notre sortie 2016 à Saint-Sauveur Maison d'écrivain : Colette
Musée Colette : musee-colette
Maison de Colette : maisondecolette.fr
La Société des Amis de Colette : amisdecolette
Site Guillaume-Budé Orléans : colette-puisaye et aussi les-budistes au-pays de Colette.
Les Amis de la Bibliothèque remercient chaleureusement Monsieur Yves Prouet.