Conférence par M. Guy Basset "Camus et l’Algérie"
Docteur ès Lettres et sociétaire de la Société d'Études Camusiennes.
Conférence du 5 octobre 2024 à la maison des Associations de Semoy.
Présentation De Monsieur Basset
M. Basset est orléanais depuis plus de 20 ans.
M. Basset, ami de Catherine Camus et condisciple de Jean Camus, nous fait remarquer en préambule que, s'il existe beaucoup de rues, de collèges ou de lycées Albert Camus, il y a assez peu de lieux culturels qui lui soient associés, c'est pourquoi il note que notre ville de Semoy a le bonheur de posséder une salle qui lui soit dédiée.
Cependant en 1956 le centre culturel d'Orléansville – aujourd'hui Chlef – était reconstruit suite au tremblement de terre avec la participation d'Albert Camus est algérien par sa naissance et ses racines. Ses deux parents étaient nés dans ce pays. Et lui-même à travers toute son œuvre revendiquera cette identité algérienne.
Albert Camus vécut en Algérie de sa naissance en 1913 jusqu'en 1940 et ne reviendra jamais y vivre.
Il fait ses études à Alger puis devient journaliste notamment à Oran. Il enseigne également dans une école juive de cette même ville.
En 1942 atteint de tuberculose il doit rejoindre la métropole pour une cure à Chambon s/Lignon où il restera jusqu'en 1943 (voir l'ouvrage collectif "Camus chez les Justes" relatant cette expérience aux éditions Bleu autour). Empêché de retourner en Algérie suite au débarquement allié en Afrique de Nord, il entre pleinement en résistance dès 1943 et prend la direction de la revue Combat.
Ses premiers écrits comme "L'envers et l'endroit", "Noce"… nous parlent de l'Algérie et sa dernière œuvre inachevée "Le premier homme" se situe aussi en Algérie. Ainsi ce pays le hante et toute son œuvre romanesque, ses nouvelles, ses articles journalistiques nous parlent de cette terre. Il n'est guère que son théâtre où l'Algérie soit absente. Et encore, ses personnages sont souvent inspirés par ses amis de là-bas quoiqu'ils soient malaisés à reconnaître tant ils sont en fait un kaléidoscope de plusieurs personnes.
À noter que le "je" chez Camus n'est souvent pas un "je" autobiographique mais une façon de s'approprier le général, une autre façon de dire "nous".
Nous pouvons appréhender aussi le journaliste "algérien" à travers ses articles (voir le recueil "Actuelles III, chroniques algériennes" qui couvre la période 1939-1958).
L'Algérie pour Camus c'est la matrice mais aussi la douleur née de l'évolution politique du pays. L'histoire coloniale de ce pays semble être différente de celle des autres possessions françaises. Ici pas de protectorat mais des départements, une terre de peuplement. Toute l'ambiguïté se jouait sur ces termes, certes un département mais les autochtones n'étaient pas libres de venir en métropole.
Camus aurait voulu dépasser ces contradictions, il pensait un avenir pour l'Algérie en terme de dépassement des différences entre kabyles, arabes et européens.
Il avait une bonne analyse des données politiques et économiques du territoire, on le voit à travers ses enquêtes comme "Misère de la Kabylie" mais ses connaissances ethnographiques étaient nulles. Il n'a pas tenu compte du passé colonial et des conditions de la colonisation. Il méconnaissait les langues du pays aussi bien l'arabe que le berbère. Le terme "arabe" dans son œuvre n'est pas si fréquent et encore moins "berbère". S'il y a 16 occurrences du terme "arabe" dans la première partie de "L'Étranger" contre 9 dans la deuxième partie, ce terme recouvre souvent un groupe indifférencié. Dans "La Peste", c'est encore pire, il n'y a que 3 occurrences et le sort de la population du cru face à l'épidémie est carrément ignoré.
Cependant dans "L’Exil et le royaume" les arabes sont très représentés et dans son dernier ouvrage "Le premier homme" il y a plus de 100 occurrences du mot.
Voir aussi à ce propos ses articles de journaux comme l'enquête sur La situation des Nord-africains travaillant en France parut dans Alger Républicain en 1939.
Albert Camus s'était associé au projet Blum-Viollette proposant une très timide réforme accordant la citoyenneté française à seulement 25000 musulmans en 1939. Il s'engage plus avant en rédigeant un appel à une trêve civile en 1956. Cet appel réclamait la cessation des attentats du FNL et un arrêt de la répression. Mais il était sans doute trop tard pour éviter l'embrasement et Camus en retour ne récolte que la condamnation de ses positions trop tièdes.
Cependant il ne renonce pas à l'engagement et jusqu'au bout il se servira de sa notoriété pour réclamer la clémence envers les militants condamnés.
Il faut noter qu'avant l'indépendance le nom d'Albert Camus n'est jamais cité dans la presse arabe. À la position ambiguë du prix Nobel de littérature 1957 face à la question algérienne, répond l'attitude du pouvoir algérien qui manie souvent le double langage. Albert Camus est pleinement revendiqué algérien quand il est encensé comme premier Nobel sur la terre africaine mais il peut être aussi rejeté quand il sert d'enjeu dans les difficiles relations entre les deux nations.
Les intellectuels algériens se sont peu emparés du sujet. Il serait sans doute bon qu'ils revendiquent pleinement son algérianité et l'étudient en examinant sa part d'ombre et de lumière à travers leur propre identité.
Fin de la conférence.
Pour aller plus loin :
« Lettre d'Albert Camus à son instituteur Monsieur Germain. (son instituteur).
Peu après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature, Albert Camus écrit à son instituteur Louis Germain une lettre de remerciement. Lire la suite sur : Un lien vers la lettre
« Lettre de Monsieur Germain à Albert Camus ». Monsieur Germain était son instituteur.
30 Avril 1959, Mon cher petit, (…) Je ne sais t’exprimer la joie que tu m’as faite par ton geste gracieux, ni la manière de te remercier. Si c’était possible, je serrerais bien fort le grand garçon que tu es devenu et qui restera toujours pour moi « mon petit Camus ». Lire la suite sur : Un lien vers la réponse
Algérie. Les cahiers de la stupeur – article de Florence Aubenas
Marcel Reggui, prof de lettres près d'Orléans, socialiste et catholique, est mort en 1986. Sept ans plus tard, surgissent d'une malle oubliée deux cahiers d'écolier. Marcel était né Mahmoud. Fils d'une famille algérienne « assimilée », il y raconte le meurtre des siens par les autorités coloniales françaises, lors de la répression des idées indépendantistes dans le Constantinois.
Lire la suite sur : Les cahiers de la stupeur
Le verre de l'amitié était du thé à la menthe accompagné de pâtisseries orientales.
Les Amis de la Bibliothèque remercient chaleureusement Monsieur Basset
ainsi que le public pour l'intérêt qu'il porte à Albert Camus.
D'autres conférences sont en préparation.
Nous vous accueillerons avec grand plaisir en 2025.