Les amis de la bibliothèque

Un petit roman par la pagination mais d'une efficacité redoutable ! L'auteur nous raconte l'histoire d'un cadre "très supérieur", déchu. Ici rien de larmoyant puisque le narrateur ne se pose pas en victime du système s'apitoyant sur lui-même. Au contraire, ayant compris comment tout cela fonctionne, il décide de résister, il attaque de manière assez subtile l'organisation en décidant d'occuper son bureau. Que celui-ci soit vidé de son mobilier et même privé de porte, rien n'y fait. Puisqu'on veut le pousser vers la sortie et surtout vers la démission et bien non, il résistera jusqu'au bout, ce qui lui permettra en fin de compte de préserver sa santé mentale. Mais surtout il devient un observateur très lucide des moeurs de l'entreprise, de la lâcheté dont doivent faire preuve ceux qui veulent rester dans le système. Il est déjà dehors mais dans le même temps encore dedans, ce qui lui procure un point de vue exceptionnelle.
Mais en plus il devient par sa seule présence le témoin vivant que l'organisation connaît des ratés. Pire, il est le symbole que dans cet univers qui se rêve hyper rationnel, tout est gouverné dans la réalité par l'irrationnel des comportements humains.
Dans ce monde fou, ses seules alliées seront deux femmes, une aide cuisinière, une immigrée de "l'extérieur" et son ancienne secrétaire, une bretonne qui rêve de retourner au pays, une immigrée de "l'intérieur" donc.
L'auteur décrit cette entreprise mondialisée avec une joyeuse férocité : "Ils marchent droit. Surtout les plus jeunes, Secs. Profil de marathoniens. De véritables combattants. les ventripotents sont dépassés. On se méfie des obèses depuis qu'il y a des contrôleurs de gestion : trop gourmands, dispendieux, ces types-là" (p.79).
Finalement les choses se terminent plutôt bien pour le héros puisqu'il partira avec de confortables indemnités et ses tourmenteurs seront à leur tout victimes du système.
J'ai beaucoup apprécié l'humour de ce livre, son ton distancié qui ne sombre jamais dans l'apitoiement. Au contraire en ce moquant des autres, il se moque aussi de lui-même car il n'oublie pas qu'il a été lui aussi un petit rouage d'un grand machin apte surtout à produire de l'absurde.